
Près de trois mois après la rentrée scolaire, et en se penchant sur les chiffres fournis comme chaque année fin novembre par l’Office public de la langue basque (OPLB), c’est le moment de se plonger dans la situation de l’euskara dans l’enseignement. Et si les chiffres en eux-mêmes sont parfois très parlants (voir encadré), la réalité du terrain montre aussi des situations qui ne sont pas vraiment à l’avantage de la langue basque.
Jetons d’abord un œil sur l’enseignement primaire. La part d’enfants suivant un enseignement bilingue ou immersif est de 42,1% en cette rentrée 2021. Si l’on regarde le verre un peu plus qu’à moitié vide, 57,9% des élèves n’ont ainsi pas de contact avec l’euskara à l’école. Les différentes batailles menées ces derniers mois autour de l’ouverture de nouvelles classes immersives ont d’ailleurs rappelé à quel point le sujet reste brûlant.
Président de l’OPLB, Antton Curutcharry revient d’abord sur un point important. “Nous avons un principe fondateur qui est le libre choix des familles. C’est différent de ce qui se passe en Corse, par exemple, où l’on propose une offre généralisée de la langue corse, même si les parents gardent le droit de refuser cet enseignement. Ici, la démarche des familles et des enfants est plus volontariste, ce qui peut paraître à la fois comme un engagement fort et aussi un handicap. C’est toujours ce fameux débat entre qualité et quantité. Mais il reste évident que nous souhaitons voir les choses évoluer. Chaque année dans le plan de travail de l’OPLB, nous avons entre autres dans le viseur, des territoires qui pour nous ne sont pas assez pourvus en enseignement bilingue, notamment en milieu urbain ou en Soule.”
Et ce dernier poursuit : “un temps, nous avions une réelle pénurie de gens capables d’enseigner leur matière en basque, c’est moins le cas aujourd’hui grâce à un travail de formation. Mais la demande va grandissant et les besoins devront suivre”.
Quand bilingue ne veut pas dire parité
Dans le secondaire, la part d’élèves qui suivent un enseignement bilingue ou immersif tombe à 19,4%. Avec un enseignement par matière, la problématique se complique et bilingue ne veut pas dire forcément parité horaire, loin de là, contrairement à ce qui peut se passer dans le primaire. Il suffit, en plus de l’enseignement de la langue basque, d’avoir au minimum une discipline non linguistique, selon le jargon de l’Éducation nationale, enseignée en euskara. Par exemple, sur les 18 collèges publics du Pays Basque Nord, 15 proposent un enseignement bilingue, mais seulement quatre offrent une réelle parité, de la sixième à la troisième : Marracq (Bayonne), Villa Fal (Biarritz), Maurice Ravel (Saint-Jean-de-Luz) et Aturri (Saint-Pierre- d’Irube).
Atteindre une réelle parité horaire dans le secondaire n’est pas gagné d’avance. C’est presque un vœu pieux, tant il n’est pas toujours simple aujourd’hui de mettre devant les élèves un enseignant bascophone dans les disciplines non-linguistiques.
Facteur chance dans le secondaire
Pour l’instant en effet, afin qu’une matière soit enseignée en basque dans le secondaire, cela tient plutôt du concours de circonstance que du concours de l’Éducation nationale. “On peut presque parler d’alignement des planètes. Il faut un départ d’enseignant, à la retraite ou pour une mutation, et que dans la matière concernée un enseignant soit déjà formé ou en mesure de faire le cours en basque et qu’il soit en plus dans notre académie. En effet, nous n’avons pas les mêmes avantages qu’ont les Corses ou les Bretons, héritage de négociations antérieures, qui ont une sorte de mouvement inter-académique. Nous demandons la même chose depuis plusieurs années, dans le cadre des négociations avec l’Éducation nationale, notamment sur l’immersif, pour renforcer l’offre. Si nous avons un prof de physique-chimie qui est à Marseille et sait le basque, mais s’est retrouvé là-bas suite au mouvement dans l’Éducation nationale, nous avons toutes les peines du monde pour le faire revenir”, explique le président de l’OPLB.
Et même si les conditions sont réunies pour ouvrir un poste à un enseignant bascophone, rien n’est acquis. Ce fut le cas l’an dernier au collège Endarra d’Anglet, où jusqu’alors hormis le basque lui-même, seule l’histoire-géographie était enseignée dans cette langue et qu’un poste d’éducation physique et sportive (EPS) s’ouvrait au bilingue. Un poste “fléché” comme on dit. “Il y avait un enseignant bascophone qui était dans l’académie et intéressé, mais il y a eu un refus. Quatre poste d’EPS étaient à pourvoir sur le territoire, dont deux fléchés, et au nom du principe d’égalité, l’inspecteur d’Académie a voulu en rester là. Ce poste nous a échappé et l’on repart pour des années où l’EPS ne sera pas enseigné en basque à Endarra. Dans le primaire, c’est la même chose, nous avons des enseignants qui se retrouvent dans des endroits où ils ne peuvent utiliser cette compétence”, poursuit Antton Curutcharry.
Cas d’école au collège La Citadelle
Même chose l’an dernier, au collège La Citadelle de Saint-Jean-Pied-de-Port, où l’on enseignait jusqu’alors en basque l’histoire-géographie et l’éducation musicale. Une demande soutenue émerge des parents et de l’équipe éducative pour attribuer un poste de physique-chimie à un enseignant bascophone. Dans le même temps, une enseignante formée pendant un an pour apprendre le basque désire ce poste, mais l’Éducation nationale fait la sourde oreille. Arrivé à la rentrée de septembre, le nouveau directeur, Olivier Pucheu, n’a pas d’explication. “Je ne sais pas exactement ce qui s’est passé. Tout ce que je peux dire, c’est qu’il y avait bien unanimité du conseil d’administration pour le profilage (NDLR : fléchage) de deux postes, en EPS et physique-chimie. Le premier est désormais en place mais pas le second. Ce sera compliqué maintenant de profiler à nouveau ce poste-là.”
Autre difficulté de taille, lorsqu’il s’agit de trouver des remplaçants. “C’est très compliqué, dans le public comme dans le privé, de trouver des remplaçants lorsqu’un enseignant de basque ou en basque est arrêté”, précise Antton Curutcharry. “Si j’ai mon enseignante de musique qui doit être en arrêt par exemple, il est quasiment certain que sa remplaçante ne sera pas bascophone”, confirme le directeur du collège La Citadelle.
Et là où les choses se compliquent, c’est qu’un poste dédié au bilingue n’est pas forcément une garantie en soi. “Un poste peut être fléché mais sans avoir une enveloppe d’heures suffisante pour couvrir les besoins, car le calcul ne se base pas sur les effectifs réels. Les équipes en place font alors du bricolage”, explique pour sa part Aitziber Zugarramurdi, du réseau Euskara Geroan, qui œuvre à la défense de l’enseignement en langue basque dans les établissements publics et privés du secondaire. Ce dernier souhaite “une véritable politique linguistique” afin de parvenir à la parité horaire en filière bilingue, avec un réel développement des postes fléchés.
Pour Aitziber Zugarramurdi l’enseignement bilingue se retrouve confronté à des difficultés de taille. “Le niveau de basque des élèves s’effondre en bilingue. Ils ne sont pas des locuteurs complets pour employer les termes utilisés dans l’enseignement et ont beaucoup de difficultés à parler entre eux en basque. Pour eux, cela reste une langue scolaire, pas de communication. Et l’environnement extérieur n’arrange rien, sans véritable lieu d’immersion. L’école ne peut pas pallier tous ces manques. Nous demandons que la loi soit au moins respectée, avec un enseignement bilingue à parité horaire. Hélas nous n’y arrivons pas, car on ne met pas assez d’enseignants alors qu’il y en a. En réalité, vu l’état de la langue basque, il faudrait même dépasser la parité et aller vers l’immersif. En tant qu’enseignant, c’est triste, car pour les élèves, ce ne sont pas des conditions dignes, ce n’est pas comme cela qu’on apprend une langue”, affirme Aitziber Zugarramurdi.
La situation au niveau du lycée, en particulier depuis la dernière réforme, n’est guère réjouissante non plus, (voir article p. 18). Les progrès à réaliser dans l’enseignement secondaire semblent énormes et nous rappellent que les enjeux, eux, ne s’arrêtent pas à la porte des écoles.